Vaincre un sommet à plus de 6 000 m

Publié le par JANODOU

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Mercredi 29 août

Ascension du Huayna Potosi

 

L’idée germe depuis l’ascension avortée du volcan Chimborazo en Equateur, celle de franchir la barre des 6 000 m d’altitude sur un des multiples sommets de la Cordillère des Andes. En même temps que le challenge de traverser du nord au sud ce continent sud américain en vélo, j’ai en tête depuis longtemps d’aller taquiner un des nombreux sommets fleuretant avec les 18 500 pieds au dessus du niveau de la mer.

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Alexis et Pauline

L’occasion s’offre à moi lorsque je rencontre sur la route, à la sortie de Copacabana, deux jeunes normands, Pauline et Alexis qui, comme moi s’arrêtent à la maison des cyclistes de La Paz, en Bolivie. J’apprends en effet lors de notre route commune de deux jours que leur idée est de s’attaquer eux aussi à un sommet des Andes de plus de 6 000. Leur choix, comme le mien, se portera sur le Huayna Potosi qui culmine à 6 088 m.

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Il est là le Huayna Potosi, du haut de ses 6 088 m

L’affaire est entendue. Reste à choisir maintenant l’agence de trecking qui nous conduira vers des hauteurs jamais atteintes par aucun de nous trois. Dans ce temps de recherche d’une agence sérieuse, un quatrième larron se joindra à nous, Marc un cyclotouriste belge qui traverse lui aussi l’Amérique du Sud mais dans l’autre sens. Nous sommes quatre, deux guides seront nécessaires pour tenter la grande aventure vers les cimes. Nous voilà maintenant engagés avec une agence qui nous paraît sérieuse, reste maintenant à définir le jour du départ en fonction bien entendu de la météo qui nous fait des caprices deux jours durant. Une lecture sur internet nous indique une météo très favorable à partir de mardi et ce pendant trois jours.

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Commence alors pour cette équipe fraîchement constituée une grande aventure à la fois sportive et humaine. Sportive à cause du challenge bien sûr mais surtout humaine car elle va révéler, en très peu de temps, une cohésion et une complicité rarement rencontrées lors de mes voyages. Pauline, Alexis, Marc et moi allons vivre des instants savoureux en quelques jours de cohabitation, aussi bien à la « Casa de ciclistas » qui nous héberge depuis quelques jours que sur les pentes du Huayna Potosi, situées dans la Cordillère Royale, à l’extrémité est du lac Titicaca en Bolivie. Une complicité forte et naturelle va naître de cette rencontre fortuite en cette fin du mois d’août. Tout se présente bien pour réussir ce sommet mais la prudence nous oblige à ne rien négliger dans la préparation.

 

La veille du départ, le sac est méticuleusement préparé. Le matin du départ, le petit déjeuner est soigné. Reste maintenant à rejoindre l’agence au centre de La Paz d’où nous partirons en camionnette avec toute la panoplie du parfait andiniste, l’alpiniste des Andes : pantalon et veste adaptés, gant, casque, cagoule, chaussures, crampons et piolet.

A la veille d’un tel challenge, je ne suis jamais rassuré. D’ailleurs, je serais inquiet de me sentir totalement rassuré. Je fonctionne ainsi.

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Direction le camp de base situé à 4 800m. Un long chemin sur l’altiplano nous fera découvrir quelques lacs rivalisant de couleurs et un cimetière posé au milieu de nulle part nous apprendra le massacre de mineurs pperpétré le 24 mai 1965. Etrange et difficile décor dans cet altiplano écrasé de soleil et balayé par un vent d’hiver. Seuls quelques lamas rappelleront que la vie existe ici, dans ce plateau aride, avec au loin le sommet du Huayna Potosi qui semble nous inviter dans son territoire.

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A gauche, John l'Irlandais et Yolanda au centre, gardienne

des lieux à 4 800 m, et toute l'année

Refuge enfin en vue avec Yolanda, la gardienne des lieux, qui nous accueille chaleureusement par une poignée de main, quelques paroles gentilles et … un repas. Malgré cet accueil, nous ne traînons pas et prenons la direction du deuxième refuge, le camp d’altitude situé à 5 130 m. C’est là que nous chercherons à trouver pendant quelques heures la quiétude des hauteurs et les globules rouges nécessaires pour les efforts à venir. Une montée rude dans la caillasse et une arrivée vers 14h30. Premières consignes de nos guides pour installer notre couchage à l’étage du refuge de pierres puis, pour rejoindre la salle à manger vers 17h30. Soupe, spaguettis et fricassée de viande, pain et boisson chaude. Nous sommes invités aussi à boire environ deux à trois litres d’ici le départ de demain, histoire d’avoir une bonne fluidité du sang et d’éviter toute sorte d’accident grave.

Comme je le pressentais, j’ai toutes les peines du monde à dormir et c’est pratiquement sans sommeil que je me lève à minuit. Un petit déjeuner pour ma part pas très copieux par manque d’appétit et nos jeunes amis Pauline et Alexis qui ne montrent pas vraiment la grande forme. Je suis inquiet pour eux. Marc quant à lui se prépare sereinement et tranquillement, avec un flegme que je lui envie.

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Une heure du matin, il est temps de chausser les crampons et c’est le départ dans la nuit, avec une lune qui nous accompagnera une bonne partie du chemin. Etrange sensation que de marcher dans la neige ferme, d’écouter nos pas dans le silence de la nuit et de se savoir embarqués vers des hauteurs vertigineuses. C’est une nuit froide qui se prépare, et déjà le vent se frotte à nous. Tantôt de dos pour nous aider, tantôt de face pour nous rappeler que la montagne se mérite. Une autre fois pour nous encourager, aussitôt après pour casser le rythme tranquille durement trouvé. J’entre dans le territoire difficile de la montagne, un territoire qui se gagne à chaque pas avancé.

Au moment où je pense être seul pour affronter le dénivelé et les mètres d’altitude, la voix du guide me ramène à la simplicité et m’encourage à continuer la marche difficile vers le sommet. Il est encore bien loin !

« Cinq mille six cents mètres me dit-il ». Encore cinq cents mètres, me dis-je. Les arrêts se font de plus en plus fréquents et la respiration de plus en plus haletante. Une première secousse m’envahit avec une grosse envie de rendre tout le contenu de mon estomac. De courts instants difficiles et je repars bizarrement de plus belle.

« Cinq mille huit cents mètres, me dit Alex.

« Despacio, lento ! » entends-je ». Encore trois cents mètres, me dis-je ! Cela peut paraître peu, mais à cette altitude, je réalise vite que deux heures ne suffiront peut-être pas pour atteindre le nirvana. Une autre secousse m’oblige à un autre arrêt, cette fois-ci plus long et plus pénible. Les effets de l’altitude m’affaiblissent et Marc joint sa voix à celle d’Alex pour m’encourager. Il comprend que les derniers hectomètres seront difficiles au point qu’il m’aidera à me hisser dans les raidillons pour gagner mètre après mètre la dernière difficulté : l’arête sommitale incroyablement vertigineuse pour l’amateur même émérite que je suis.

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Derrière ce mur de glace, un vide impressionnant

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Au fond, les premières cordées arrivent au sommet

« Six mille mètres ! » entends-je. Je réalise alors que je viens d’arriver à cette barre tant espérée et que plus rien ne pouvait m’empêcher d’arriver à ce sommet de près de 6 100 m, même pas un vide de plusieurs centaines de mètres de chaque côté de l’arête. D’une longueur d’environ cent cinquante mètres, elle serpente entre rochers et neige glacée, balayée par un vent latéral violent et froid. De là où je suis, j’ai peine à réaliser le passage vertigineux que je dois emprunter.

« C’est là que je dois passer ? dis-je à Marc ». Et il m’encourage de plus belle. Alex devant, Marc derrière, il ne peut rien m’arriver. Allons-y ! Les forces me manquent parfois et je dois reprendre de l’air à pleins poumons tous les cinq pas. Puis tous les trois. Je peine à tenir le piolet tant le froid accentué par le vent me glace les doigts malgré les deux paires de gants. Pied après pied, pierre après pierre, le sommet se rapproche, lentement mais sûrement. Déjà j’aperçois les premières cordées sur la minuscule surface du sommet effroyablement pentue. Je m’arrête parfois et reprends le souffle, les yeux fermés d’épuisement. Dernière difficulté que j’avale étrangement facilement et enfin, les derniers pas vers ce sommet longtemps rêvé.

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Merci Alex !

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Merci Marc !

Je viens d’atteindre pour la première fois un sommet à plus de 6 000 m.

Notre cordée est la seule sur cette terrasse et je tombe dans les bras d’Alex puis dans ceux de Marc pour les remercier. Cela suffit-il, est-ce suffisamment payé ?

A côté de moi sont assis tous mes proches que je chéris, vivants et disparus. Ils m'ont aussi aidé à vaincre ce Huayna Potosi, mon Everest à moi.

Les larmes me coulent. Je suis épuisé mais terriblement heureux et fier. C’est une victoire sur moi-même, la récompense par la ténacité.

 

Toujours en pareil cas, la descente n’est pas un souci même si la prudence doit être de mise. Je réalise encore plus les difficultés criantes que je viens d’affronter puisque maintenant je fais face au vide. Un vide qui embellit encore plus une ascension difficile pour le sexagénaire que je suis maintenant.

Ce vide que je traverse à ce moment précis me remplit de joie et de fierté.

Que la montagne est belle !

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Bravo à Pauline et Alexis !

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Congratulations John !

Publié dans 5 - LA BOLIVIE

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M
<br /> Un grand BRAVO pour cet exploit, Nous avons suivi le blog depuis l'Indonésie sans pouvoir malheureusement donner des commentaire depuis le e-Pad. Nous étions en train de siroter un "lemon<br /> crush" dans un bar-cocktail de Samur à Bali lors de la lecture de ton ascension du Huayna. Toutes tes émotions, tes maux, le souffle court et les jambes qui ne veulent plus, le mental qui<br /> prend le relais et qui nous aide à franchir les caps et atteindre le sommet....c'est tout à coup notre ascension du Kilimandjaro, il y a 20 ans, que nous revivions grace à toi.<br />
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J
<br /> <br /> Beaucoup d emoton au sommet qui persiste quand je relis la page.<br /> <br /> <br /> Bravo pour ton Kilimandjaro<br /> <br /> <br /> A bientot Monique<br /> <br /> <br /> <br />
P
<br /> Salut Germain !<br /> <br /> <br /> Comment vas tu ?<br /> <br /> <br /> As tu reçu ton colis tant attendu ?<br /> <br /> <br /> Et LE Belge est-il reparti ou tu le supporte encore ?<br /> <br /> <br /> Nous venons de faire la pampa et allons vers la selva...Genial !!<br /> <br /> <br /> A plus sur ton blog...<br /> <br /> <br /> Alex et Pau<br />
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J
<br /> <br /> Tres heureux de vous retrouver et de savoir que tout va bien pour vous. Pas pour moi ou je galere comme c est pas possible dans ce nord Chili: Vous lirez les articles bientot<br /> <br /> <br /> Je vous embrasse tous les deux<br /> <br /> <br /> <br />
M
<br /> AD-MI-RA-BLE cet exploit d'un quinqua "EPO" : sincères félicitations d'avoir su réunir toutes ces belles qualités pour aller au bout de votre rêve et un grand MERCI et BRAVO pour<br /> toutes ces superbes photos & vidéo ainsi qu'un récit passionnant. J'attends de lire la suite de votre belle aventure avec impatience.<br /> <br /> <br /> Votre fidèle admiratrice MIREILLE<br />
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J
<br /> <br /> Merci Mireille, la suite ne devrait pas tarder.<br /> <br /> <br /> <br />
R
<br /> FAN-TAS-TISQUE j'ai repris mon journal juste à temps.Je sentais bien quiss'passo quete cosse ed'pas banal.Je ne trouve pas beaucoup de mots,je suis scotchée,je te fais de gros bisous.Abientot min<br /> tiot quiquin<br />
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J
<br /> <br /> Je t'en fais des encore plus gros ! Na !<br /> <br /> <br /> Je t'embrasse soeurette<br /> <br /> <br /> <br />
M
<br /> Que d'émotions. Il en faut des qualités pour arriver a vaincre un si haut sommet. Chapeau bas Monsieur !<br />
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J
<br /> <br /> Energie, Persévérence et Obstination : c'est mon EPO à vélo comme à pied dans les sommets.<br /> <br /> <br /> Merci Monica<br /> <br /> <br /> <br />