Vingt cinq kilomètres hors du temps
Jeudi 22 juillet – Hepcisht-Zajaz (Macédoine) – 75,5 km (3250,8 kmc) – 6h33
Malgré la petite distance affichée au compteur, ce fut une journée très longue, difficile, qui marquera mon périple plus que d’autres étapes.
Je suis à ce jour dans une partie des Balkans parmi les plus pauvres et les 25 km de ce matin, entre Tetovo et Gostivar, presqu’à la pointe des trois pays de l’Albanie, du Kosovo et de la Macédoine, resteront parmi les plus difficiles jamais traversés dans ma randonnée vers l’Orient.
Difficile par une route comme jamais je n’ai connue, difficile par des dénivelés des plus anarchiques c'est-à-dire que jamais je ne pouvais anticiper des longueurs de montées ou de descentes, difficile enfin pour ce que j’y ai vu et ressenti tout au long de ces kilomètres irréels.
La montée d’un col ou d’une longue ascension d’un pan de montagne peut se lire très souvent dès son commencement et je prends maintenant l’habitude de quelques repères géographiques pour me caler sur la selle et les pédales afin d’adoucir les efforts. Ce matin, cette lecture de la chaussée était impossible tant la route était sinueuse et dans un état de délabrement très avancé. Jamais je ne pouvais quitter l’asphalte, ou de ce qu’il en restait, des yeux. C’était un slalom quasi permanent sur toute sa largeur pour éviter trous, bosses et monticules qui y jonchaient alors que, dans le même temps, les véhicules d’en face slalomaient eux aussi pour les mêmes raisons.
Il règne malgré tout et tout le long du chemin une courtoisie réciproque et jamais je n’ai rencontré des passages en force ou des comportements agressifs. Bien au contraire d’ailleurs, c’est le sourire qui est maître de ces lieux, en toutes circonstances.
Pendant que je peinais à me trouver un passage approximatif, il fallait répondre aux signes amicaux que tous ou presque m’adressaient. Irréel vous dis-je ! Les enfants, plus expansifs que leurs aînés, y allaient de leurs commentaires que je devinais admiratifs.
Vers les 10h, les forces me manquent et je trouve une échoppe pour y prendre un peu d’énergie. Quelques biscuits, une boisson pétillante à base d’orange pour 1,20 € (la vie est très peu chère en Macédoine) et le commerçant me sert en plus de sa bonne humeur un petit gâteau et la moitié d’un pain. Irréel vous dis-je !
Plusieurs fois, sur ces 25 km, j’étais invité à m’asseoir à la tablée et à boire avec eux le café, ou le thé, ou la limonade. Je ne pouvais pas toujours accepter ni refuser non plus. Une route hors du temps !
Non content de devoir éviter parfois des objets çà et là, il fallait aussi laisser traverser les chiens d’une crasse indescriptible, au poil hirsute et parfois taché de sang, ou de les éviter simplement car affalés sur le bord de la route. Chaque geste de ces canidés était d’une lenteur à se demander s’ils n’allaient pas s’écrouler et rester là sans vie. Il est fréquent de trouver sur le bord des chemins, en dehors des villes, des chiens errants très chétifs qui, s’ils leur reste un peu d’énergie, vous courent après à la recherche de quelque mollet de passage. Et que dire dans le domaine de l’horreur chez ces pauvres « amis » de l’homme quand, entre deux petits villages sur ces 25 km, un chien gisait sur le côté, toutes tripes dehors, sur ce qui aurait pu ressembler à un trottoir, pendant qu’un autre s’en délectait, peut-être pour ne pas subir le même sort ?
Et toujours cette nonchalance des habitants semblant ignorer les événements autour d’eux, trop occupés qu’ils étaient à leur bavardage.
Et puis encore, au détour de deux rues laissant échapper des odeurs de putréfaction, étonnante présence de ce veau, bien court attaché, qui semblait attendre quelqu’un. La réponse me sera donnée quelques mètres plus loin, dans une sorte de garage où traînait sur le sol la tête d’un de ses frères de lait.
Drôle de film qu’ils passent aujourd’hui dans ce cinéma en plein air !
Une tranche de vie de tous les jours semble-t-il, que je vis depuis maintenant 25 km, quelque part en Macédoine.
Difficile journée donc que ce 22 juillet qui se terminera par l’ascension d’un col à 1210 m et long de … 15 km.
Il va sans dire que la nuit sera bien méritée, mais je le dis quand-même.
A demain !